« Poèmes d'enfant » (1), par Marthe Bossavy
in Nouvelle Éducation, 5e année, no. 49, p. 172, novembre 1926
Nous l'avions bien dit que le jour où les enfants seraient libres d'écrire, nous verrions enfin leur vrai génie. Pour ceux qui en doutent encore, après tant de preuves, voici un petit livre adorable où le don poétique d'une fillette de 13 ans s'épanche avec bonheur.
Sabine Sicaud vit une vie heureuse et saine dans la campagne du Lot ; elle lit beaucoup, elle regarder les fleurs et les bêtes comme seuls savent les voir les enfants et les poètes ; et elle exprime ses impressions et ses rêves dans des poèmes frais, gracieux et rieurs qui sont un délice. Il faudrait citer les 29 poèmes de ce petit livre. Certains ont paru dans L'oiseau bleu. Je choisis celui-ci qui semble être écrit pour nous, éducateurs ; et je vous dis à tous : offrez vite ce livre exquis à vos enfants pour que cette petite fée leur donne de beaux rêves :
Des livres – Soit...
Des livres ? Soit. Mais en hiver.
Que le jardin soit gris, la vitre grise !
Que la brise, dehors, soit de la bise
Et la chaleur, dedans, celle de tisons clairs.
Des livres… Mais un ciel de Londres
Et des larmes, sur les carreaux, en train de fondre…
Manteaux sentant le vétiver –
Chats en boule, manchons, marrons, l’hiver !
Alors, si vous voulez, un livre – pas des livres –
Un seul, mais beau comme le printemps vert,
L’été doré, le rouge automne grand ouvert,
Plein d’oisillons bavards et de papillons ivres !
Lequel m’offrirez-vous, lequel
M’apportera cela, demain, père Noël ?
Des images, bien sûr… C’est le temps des images.
Saluons-nous, Bergers, Rois Mages !
Et des contes… Bonjour, prince Charmant !
Et de l’histoire… – que vois-je, mais autrement –
Et des voyages… que me gâtent les naufrages !
Père Noël, père Noël, ne cachez-vous
Dans votre hotte, un brin de houx,
Dans votre barbe, un grain de givre ?
Ne remplaceraient-ils ce gros livre, entre nous ?
Mon livre à moi n’est pas un livre
Comme ceux qu’on imprime, et, jusqu’au bout,
Vos feuillets bien coupés, je ne pourrais les suivre.
On ne lit pas un conte… On s’en souvient.
Je l’écoute, brodé par les flammes dansantes,
Ceux qu’on ne me dit pas, je les invente !
L’Histoire ? Un conte aussi. Pour les voyages, rien,
Rien, sachez-le, ne me retient
Si quelque oiseau bleu me fait signe.
Quant aux poèmes… soit. Nous attendrons l’été.
L’été n’a pas besoin de rimes qui s’alignent.
Attendons seulement le pourpre velouté
De cette rose que je sais, près de la vigne…
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(1) par Sabine Sicaud, préface de Mme de Noailles (édit. Les Cahiers de France). En vente à la librairie Flammarion, 140 Faubourg St-Honoré, Paris.