Sabine Sicaud

In Recueil de l'Académie des Jeux Floraux - 1904
Imprimerie Douladoure-Privat, Toulouse (1904 ; p. 89-91)

LE SODN

Pièce présentée au concours

Par Mme Marguerite GINET,
à Villeneuve-sur-Lot

L'Idéal est l'essence de la poésie.
(Guizot)

Comme il avait encor les fins cheveux d'enfant
Qu'aiment à caresser de leurs lèvres les mères,
Ses yeux étaient déjà pleins d'étranges chimères
Et son coeur adorait tout ce que l'on défend.

Dans le berceau d'osier garni de blanches toiles,
Il demeurait longtemps sans dormir, écoutant
Le vent soufller dehors et le toit sanglotant
Sous le clignotement fatigué des étoiles ;

Et de chercher pourquoi le ciel cligne et pourquoi
L'hiver, comme un damné, gémit aux portes closes,
Le tourment le suivait parmi les vagues choses
Que les contes de vieux lèvent autour de soi...

Car les vieux racontaient au long des soirs moroses...
Et lui ne pouvait plus oublier le tocsin
Des cloches d'Ys, qu'au fond du sinistre bassin
Cache un rideau léger d'algues vertes et roses.

Et les démons courant à la pointe des rocs,
Les sorcières valsant, d'une flamme coiffées,
Le grincement des morts et le rire des fées,
L'appel des chats-huants, des chiennes et des coqs,

Le hantaient, comme un vol de nocturnes abeilles...
Par la grève, dès l'aube, il échappait souvent
Pour voir les flots bondir, et cracher dans le vent
Sur les gouffres remplis d'invisibles merveilles,

Ou dans les chemins plats qu'en maigres floraisons
Bordent sans fin les champs d'oeillets et de lavandes,
Il se grisait du calme ensoleillé des landes
Que d'un tulle pâli ceignent les horizons...

La veuve ne pouvait le retenir près d'elle
Et même dans ses bras, leurs deux fronts appuyés,
Le rêve inquiétant de ses regards noyés
Trahissait l'amoureux qu'une maîtresse appelle.

Il grandit. Ses cheveux trop blonds devinrent bruns.
Sa maîtresse changea de nom, devint l'Étude,
Et la raison sceptique et la science rude
Chassèrent les esprits familiers des embruns.

Il sut les mots nouveaux qui détruisent les gnomes,
Qui font vide la plage et muets les battoirs,
Et les alignements chancelants dans les soirs
Ne lui contèrent plus que l'histoire des hommes.

Il dit alors : « Je veux tout connaître. » Et fiévreux,
Courbé, tourna des pages, lut, fouilla sans trève...
Mais la science est rude et notre force brève...
Une angoisse monta de son coeur à ses yeux ;

Et ses tragiques yeux, ses yeux, de ceux que ronge
Le mal soudain perçu de la réalité,
Implorèrent le ciel brusquement déserté
Par les vierges des flots et les saintes de songe...

Nul ne vit ses pieds las butter par les chemins
Que les astres pendus au plafond des nuits claires,
Et, seules déités des vagues et des pierres,
Les fille de pêcheurs lui tendirent les mains.

Les filles de pêcheurs tendirent leurs mains fortes,
Et leurs sourires doux se penchèrent vers lui.
Mais de plus enivrants sourires avaient lui
Sur les bouches en fleur des lavandières mortes.

Les vierges de Missel refermaient leurs doigts longs
Sur des lys frêles, purs comme leur âme pure,
Et sur leurs vêtements de percale ou de bure,
Les filles n'apportaient que des senteurs d'ajoncs.

Les rustiques ajoncs, les varechs et les brises
Avaient seuls imprégné les maisons des pêcheurs,
Et c'étaient des parfums du ciel et des blancheurs
D'idéal qu'il cherchait sous les capuches grises.

Et parce que les corps ne pouvaient lui donner
L'infini de beauté qu'il rêvait, et les âmes,
Tout l'infini d'amour que les errantes flammes
Des amants trépassés dans la nuit font planer,

D'un geste il refusa les tendresses offertes,
Et farouche, à jamais solitaire, le coeur,
Fibre à fibre tordu par le passé vainqueur,
S'en fut au loin pleurer sur les côtes désertes.

Il pleure au loin devant les rayonnants midis,
Les couchants violets et les aubes rougies,
Qui dans l'or et le sang bercent leurs nostalgies,
Sur la mer qui frissonne et les sables tiédis...

Jusqu'à l'heure tardive où s'endorment les dunes,
Il pleure lentement ses pleurs mystérieux,
Et l'on dit qu'il en fait des bijoux curieux
Lorsque sur le vélin brillent les pleines lunes.

Au bout de son crayon, comme des diamants,
S'alignent cristallins et purs, et doux, et tristes,
Des mots tels qu'à la ville en sculptent les artistes,
Ou qu'au temps de Morgane en savaient les amants ;

Et voyant s'argenter la pâle silhouette,
Les Bretons, revenant d'Audierne ou de Moustié,
Par un signe de croix, témoignent leur pitié
Pour cet infortuné qu'on appelle un Poète.

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