Un détour de la route et ce Basento funèbre,
Dans ce pays stérile, âpre, où, sur des collines,
Au loin, s’étendent de noires forêts pourrissantes.
Sur les interminables plateaux, pas un seul arbre.
Des cirques, des vallées vastes, sans verdure,
Où stagnent, avec des reflets de plomb, des eaux infernales
Issues des crevasses des lointaines montagnes de bitume
Dressées dans les régions désertes, sans routes et sans villages,
Près d’un Lago Nero, où semble demeurer éternellement
Un sombre et angoissant crépuscule d’hiver.
Te voici, rude Lucanie, sans un sourire !
Replis stygiens de ces ravins, ces roseaux noirs,
Ces chemins tortueux ouverts à tous les vents ;
J’ai donc vécu, jadis, en Basilicate,
Puisque ces souvenirs me restent bien vivants.
Un détour de la route, et ce Basento funèbre.
(C’est la route de Tito à Potenza ;
Ce talus de cailloux, c’est la ligne où ahanent
Les lents et lourds et noirs express Naples-Tarente.)
Il y a une maison de paysan, en ruines,
Inhabitée ; sur un des murs on a écrit
En français, ces mots peut-être ironiques : Grand Hôtel.
La prairie, à l’entour, est pâle et grise.
On m’a dit que l’endroit était nommé Centomani.
J’y suis venu souvent, pendant l’hiver 1903.
C’est une partie de ma vie que j’ai passée là,
Oubliée, perdue à jamais…
Arbres, ruines, talus, roseaux du Basento,
Ô paysage neutre et à peine mélancolique,
Que n’eûtes-vous cent mains pour barrer la route
À l’homme que j’étais et que je ne serai plus ?
in Les Poésies d'A.O. Barnabooth (1913)