Miroir calme du Lot semblable à l’eau morte
Reflets sur les plafonds des fentes des volets,
Mystère des foyers dont s’entrouvre la porte;
Voix de l’écluse et voix de l’eau sur les galets.
Chapelle au bout du pont surplombant l’eau profonde
Dont les murmures sourds résonnent à l’hiver
Jusque sur le parvis. Longue plainte qui gronde
Comme un souffle de feu jaillissant de l’enfer…
Tumulte des matins dans la cour des collègues,
Tribunal aux senteurs acides de couvent,
Et sur le coteau bleu que des remparts protègent,
Bons chasselas riches et chauds comme du sang.
Villeneuve, tes tours de brique et ton clocher
Dont la grande ombre rose émerge sur la plaine !
J’aime tant tes jurons patois de maraîcher
Et les pas des chevaux des roulottes foraines…
J’aime l’odeur de miel qu’ont les parquets luisants
Des logis où comme un marin qui se repose
L’on écoute entre amis passer la voix des vents
Dans la calme fraîcheur des persiennes closes.
Les Cornières… J’entends crier sous leurs arcades
Les marchés de primeurs et les marchés de fruits.
Sous les platanes verts, des bourgeois en balade
Promènent leur famille et content leurs ennuis…
La jeune fille pense aux matins du dimanche.
Sa robe de tussor au corsage léger
Portera des volants de mousseline blanche
Quand on ira cueillir les pêches du verger.
*
Soirs parés de jadis, soir de son premier bal ;
Berges du Lot au gazon frais, planté de saules ;
Terrasses des châteaux, chandelles de cristal,
Bras mince et main timide au creux de mon épaule.
*
Villeneuve, cité de mon rêve impossible,
Tu ne m’apportes pas ce que j’aurais voulu,
Car je voulais chez toi vivre un long temps paisible
Et tu sais trop blesser lorsque tu n’aimes plus.
Et pourtant j’aime encor conter tes anecdotes,
Car ton humour léger n’a pas de mots amers.
Et malgré les chagrins où mes jours se grignotent,
Lorsque je pars, je te regrette, et sur les mers
Je chante tes beautés à tous les vieux pilotes.
Villeneuve-sur-Lot (Septembre 1941)
In Retour de mer (1942)