Sabine Sicaud

Prix obtenu : Jasmin d'Argent (1924)

Dans un cadre, au mur de ma chambre, une aquarelle...
Mon regard, ce matin, s'est attardé sur elle :
Un lac entre des pins, par un couchant d'or clair...
Les troncs rougeâtres sont presque noirs, le ciel vert
Est un reflet qui dort sur le lac immobile...
Puis, tout au fond, c'est la forêt qui se profile,
Bleue et mauve, et ses rameaux sombres découpés
Sur du soleil...

         De les avoir trop regardés,
Voici que — telle une fenêtre s'ouvrant, large —
Ce n'est plus l'aquarelle étroite que la marge
Fait plus étroite encor sur le gris de ce mur,
Mais, surgissant de l'ombre et de ce cadre obscur,
C'est Chiberta, soudain... Chiberta, nom qui sonne
Ainsi qu'une pelote aux frontons de Bayonne,
Chiberta, lac tranquille au fond des pignadas,
Où le bruit de la mer vient déferler tout bas ;
Chiberta, ciel d'or pâle entre les branches noires,
Eau dormante où le vent trace de longues moires,
Odeurs vives, parfums salés et résineux,
Ombre mauve estompant les sous-bois sablonneux,
Chiberta, pins tordus en mouvante dentelle...

— Ce n'est plus une mince et fragile aquarelle,
C'est tout le pays basque évoqué brusquement,
C'est la brise qui mêle ici, plus fortement,
Le goût de l'Océan au goût de la Montagne,
C'est le soleil qui meurt sur la côte d'Espagne,
La Rhune violette au bout de l'horizon,
C'est le balcon qui met aux blancheurs des maisons
Le rouge sombre et vif des poutrelles croisées...
C'est toute la douceur âpre des Pyrénées,
C'est le timbre des voix et la fierté des yeux,
Les vagues bondissant aux rochers du Port-Vieux,
La rue en pente où rit une marmaille sale,
Le demi-jour ocreux d'un choeur de Cathédrale,
La barre de l'Adour que franchit un bateau
Et le béret de drap que porte Chiquito !

— Pays de vieux remparts et de vertes fontaines,
Où les femmes, levant les hautes cruches pleines,
Ont gardé le secret des gestes éternels,
Faut-il que j'aie aimé la beauté de vos ciels,
Pays de mon enfance, au nom doux et sonore,
Pour qu'après tant de jours il me suffise encore
Pour vous revoir soudain, éclatant, grave et pur,
D'une aquarelle pâle encadrée à mon mur...

CLAUDE DERVENN

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